Téléphone

18h35. Enfin la fin d’une longue journée de bureau. Le bonheur de déboutonner le haut de sa chemise, et de retirer ses chaussures. De l’eau fraîche pour le chat, quelques grattements derrière l’oreille. Le ronronnement brise doucement le calme de l’appartement plongé dans la pénombre. Bref, une routine bien huilée.

Fatigué, il s’allonge dans le canapé, avant de regarder ses notifications. Parmi le fouillis habituel des réseaux sociaux, un petit rectangle se démarque : un sms reçu il y a 10 minutes. Elle est en avance, aujourd’hui !

              – Hey, tu fais des heures sup’ ?

Un sourire étire ses lèvres, tandis qu’il compose la réponse.

              – Presque pas, je viens de rentrer chez moi. Ta journée s’est bien déroulée ?

              – Tranquillement. Mes parents viennent de repartir, ils sont restés après le repas cet après-midi. David les a raccompagnés, il devait passer la soirée chez un ami.

              – Je devrais peut-être faire pareil, pour oublier cette journée.

              – Ça ne s’est pas bien passé ?

              – Ça ne s’est pas mal passé. Mais le stress reste présent, comme très souvent.

Quelques minutes s’écoulent, silencieuses. Puis la vibration familière brise à nouveau le calme de la pièce.

              – J’ai une petite idée, pour te faire changer d’air 😉

Subtilement, son ton a changé. Il n’est pas sûr de comprendre ce clin d’œil… mais bizarrement, il en retire tout de même un certain plaisir.

              – Toute proposition serait la bienvenue, j’ai de plus en plus de mal à faire la coupure entre journée et soirée…

Il allume la lampe du salon, va se chercher un verre d’eau froide, et retourne s’assoir sur le canapé. L’attente est presque savoureuse. Une vibration plus tard, et il tourne les yeux vers le petit écran.

              – Je pense que ma proposition fera très bien office de coupure. Mais il faut que tu me fasses confiance ! Aveuglement 😉

              – Confiance pour quoi ?

              – Pour m’obéir.

Ce genre de phrase à toujours le don de provoquer un agréable de frisson dans tout son corps. Pas d’erreur possible, le ton a bel et bien changé, et la tigresse est de retour.

              – Oh, je vois…

Bien qu’en fait, il ne voie pas si précisément ce qu’elle lui prépare. Avec elle, les indices arrivent toujours au compte-goutte. C’est peut-être ce qui fait le charme de cette relation si pimentée.

              – Il me semble qu’il te reste de l’huile de massage, non ? Je ne pense pas avoir vidé le flacon lors de mon dernier passage.

              – En effet… Mais il ME semble que ce serait mieux si j’étais chez toi, pour les massages.

              – Va chercher le flacon, et installe-toi confortablement. Ah, et au fait : retire-moi tous ces vêtements ! Ils sont de trop. Je te veux libre de tes contraintes sociales.

Après tout, qui ne tente rien n’a rien… Fébrilement, il suit les instructions, en la remerciant silencieusement de le débarrasser de ce costume si contraignant.

              – Il fait pas chaud. J’espère que tu as prévu de quoi pallier à ceci.

              – Montre-moi.

Avec un sourire, il essaie de cadrer une photo qui en révèle assez pour la satisfaire, mais qui cache quand même l’essentiel. Il a l’habitude de ce genre de jeu, ce n’est pas leur premier échange de sexto. Il finit par garder une photo où il pose allongé sur le dos, de profil. Sa jambe repliée masque son bas-ventre. Sa main libre enserre le flacon d’huile, posé sur les muscles de son abdomen. Malgré le stéréotype de la photo d’éphèbe légèrement musclé, elle aimera.

              – Toujours aussi prude… Maintenant, tu vas poser ton téléphone et m’appeler. Ce sera plus pratique.

              – Pourquoi donc ?

              – Fais-le.

Avec une pointe d’appréhension, il dépose le téléphone à côté de lui, et l’appelle. Dès la première sonnerie, elle décroche. C’est seulement au bout de quelques secondes qu’elle poursuit, d’une voix assurée :

              – Très bien. Tu vas t’enduire les mains de cette huile. Généreusement.

Tout en suivant les instructions, il tente de cacher le bruit de sa respiration qui commence à se faire lourde. Le lubrifiant coule le long de ses doigts fébriles. Son imagination n’ose pas se tourner vers la suite des évènements… C’est pourtant avec empressement qu’il lui confirme l’action. La voix qui réplique vibre d’une autorité dégoulinante de suavité :

              – Tu en as mis assez ?

              – Ça dépend pour quel usage. Mais je pense que oui, mes mains ne peuvent plus rien attraper…

              – Et pourtant, elles vont devoir se saisir de quelque chose en particulier, lui glisse-t-elle avec un petit rire.

La suggestion est sans équivoque, mais le jeune homme ne peut s’empêcher lui lancer une pique. Il adore défier son autorité, tester son caractère.

              – Si tu pouvais apporter davantage de précisions… je n’ai pas vraiment envie de mettre le l’huile un peu partout avant de trouver l’objet en question !

Son trait d’humour maladroit dévoile une pointe d’excitation que les deux amants n’ont aucune peine à remarquer. Il regrette d’ailleurs le surplus de patience que sa boutade requiert : l’amante prend soigneusement son temps, en feignant de se demander ce qu’il pourrait attraper… Il se risque alors à lui faire comprendre l’urgence de la situation, honteux d’en être réduit à suggérer lui-même son traitement.

              – Quelque chose d’un peu plus chaud vient de rejoindre l’huile qui a coulé sur mon ventre.

              – Ah oui ? Je me demande bien ce que cela peut être…

Le ton taquin de la jeune femme lui fait aussitôt regretter d’avoir craqué. Elle n’attendait visiblement que ça ! Amusé, il décide de se faire légèrement frondeur :

              – Je me dois de tarir la source de ce débit…

              – J’allais justement te proposer quelque chose en ce sens ! Mais… simplement pour que tu ressentes la chaleur au travers de l’huile, dans ta main. Tu sais, sans faire aucun mouvement. Oh, on dirait bien que tu mets en application très rapidement, tu respires un peu trop fort. C’est le contact avec ta main toute glissante, qui te fait cet effet-là ? Non, ne dis rien ! Je préfère fermer les yeux, et t’imaginer lutter. Je vais peut-être même te laisser te morfondre, dans toute la splendeur de ta frustration… achève-t-elle avec un rire moqueur.

Le clic du téléphone se fait entendre.

La surprise est totale ! Il la connaissait joueuse, et toujours imprévisible, mais elle ne lui avait jamais fait cette plaisanterie. La main encore serrée autour de son membre tremblant, il songe cependant à profiter de la situation pour se détendre, seul. Une maigre consolation, en somme. Mais, il lui ferait regretter plus tard son effronterie…

C’est ce moment des moins opportuns que choisit la sonnette pour faire retentir son crissement.

              – Il manquait plus que ça…, ronchonne-t-il en se précipitant à la salle de bain, s’essuyer les mains et enfiler un peignoir. C’est en courant qu’il arrive à la porte, la déverrouille, et se prépare à expédier le visiteur malvenu rapidement avant de retourner à son affaire. Quelle n’est pas sa surprise lorsqu’il voit apparaître le visage de la demoiselle qui vient de lui raccrocher au nez !

              – J’ai pensé que ce serait plus sympa qu’au téléphone…, lui souffle-t-elle en lançant un regard amusé vers son peignoir.

Fin.